ARBAA EXPERIMENTAL CHAÂBI : TOURBILLON ORIENTAL
L'INTERVIEW DU JOURNAL
Le groupe ArbaA Experimental Chaâbi est né de la rencontre entre ArbaA, un quartet français de jazz répétitif et hypnotique, et de musiciens marocains, spécialistes du chaâbi, la musique populaire du Maghreb. En prévision de leur venue à Dijon, nous avons rencontré Clément et Benoît Black, batteur et saxophoniste du groupe.
Comment est né ce projet assez atypique ?
CB : Grâce à un ancien professeur, j’ai obtenu le contact de Saïd Idrissi Oudghiri un grand maître de derbouka (percussion d’Afrique du nord) et joueur reconnu de chaâbi. Je l’ai rencontré plusieurs fois afin d’apprendre à ses côtés et l’idée est venue au fil du temps. Son profil détonne parmi les joueurs de chaâbi car il est très ouvert à la fusion et s’intéresse énormément aux musiques occidentales.
Comment définiriez-vous la musique chaâbi ?
CB : En fait, chaâbi signifie populaire. C’est l’équivalent de la pop chez nous, donc il y a une grande pluralité de styles au sein du Maghreb. Le chaâbi du Haut Atlas n’a pas grand chose à voir avec celui au nord du Maroc. Mais ils sont tous liés à la danse, souvent associés à la fête.
Était-ce facile de fusionner le chaâbi à votre style pour créer quelque chose de cohérent ?
CB : C’est toujours délicat de parler de style. Notre jazz s’inspirait déjà de ces musiques là en terme de construction, une musique polyrythmique et répétitive. Cette proximité a clairement facilité la fusion entre ArbaA et les musiciens marocains.
BB : On est parti des rythmes du chaâbi, pour y coller notre univers et ajouter des couleurs plus proches du jazz. C’est donc vraiment le rythme qui a permis cette fusion. On a dû aussi comprendre leur manière de travailler qui est beaucoup plus dans le ressenti, le “ feeling ”. Ils ne lisent pas la musique, elle est donc beaucoup moins codifiée et plus spontanée. Il a fallu s’adapter, des deux côtés, ce qui a été passionnant également.
Votre musique, à l’inverse du chaâbi traditionnel, est exclusivement instrumentale. Est-ce un choix ?
CB : On était plutôt ouvert à ce qu’il y ait du chant, on a même eu l’idée d’un chanteur mais ça ne s’est pas fait. Si on tombe sur la bonne personne, ce sera avec plaisir. D’ailleurs à Dijon pour notre prochaine tournée, on va jouer avec un nouveau violoniste qui chante un peu, donc à voir !
Vous parliez de s’adapter à l’autre, comment se passe ce processus de création ?
BB : Pour la première session, on a fait le choix d’écrire une base, Clément et moi, afin de ne pas gaspiller bêtement le peu de temps qu’on avait tous ensemble. On a donc vraiment fixé les choses pour nous donner un cap, ce qui nous a permis d’avancer vite. Lors de la deuxième session de création, le joueur de lothar*, Léo, a amené des thèmes et des mélodies vraiment ancrées dans les couleurs marocaines. Comme il est français et vit au Maroc, sa double culture nous a vraiment aidé.
Et cette rencontre avec Léo ?
CB : Par hasard ! Je l’avais croisé au conservatoire de Lyon et j’ai appris qu’il s’était installé à Fès, j’ai profité d’un de mes voyages pour le rencontrer. Il est également à l’initiative du projet. Grâce à lui, l’Institut français nous a accueilli. On a donc rencontré 3 profils différents : Léo qui possède les codes des deux cultures, Saïd qui est très ouvert à la fusion et le violoniste, Si Mohammed qui avait envie de participer au projet mais qui ne s’était jamais vraiment intéressé à la fusion. Léo a donc été notre passerelle.
Mis à part les quelques musiques déjà parues, sur votre Soundcloud notamment, vous n’avez pas encore sorti d’album ?
CB : Pas pour l’instant, le projet est encore tout frais. Il date de fin 2016 mais on n’a pu faire que deux résidences de création à Fès. Sur la deuxième, on a enregistré un petit EP écoutable sur internet mais rien qui puisse avoir la prétention d’un album, que l’on va a priori enregistrer l’année prochaine. La distance et nos autres projets respectifs, que ce soit nous avec ArbaA ou eux au Maroc, ne facilitent pas une avancée rapide.
Pour revenir sur Saïd Idrissi, vous le présentez comme un grand maître de la percussion et j’aurais aimé savoir si c’était un vrai titre décerné ou simplement honorifique ?
BB : (rires) Non rien d’officiel, mais il y a un côté très hiérarchique dans la musique maghrébine. Plus tu es doué plus tu es reconnu, et donc au sommet de la hiérarchie. Saïd par exemple est le chef d’orchestre de Najat Ataabou qui est sans doute l’une des plus grandes chanteuses marocaines à l’heure actuelle. Il est donc clairement reconnu par ses pairs, sans pour autant avoir un vrai diplôme.
L’été dernier vous avez joué au Jazz à Vienne, une véritable institution chez les amateurs de jazz. Le public comme la critique a été dithyrambique, comment l’avez vous vécu de votre côté ?
CB : Effectivement, c’était une très belle scène et une chouette occasion pour nous. La journée avait été difficile notamment à cause de la chaleur et finalement une vraie alchimie s’est créée avec le public. A Vienne, le jazz est très ancré dans la culture, le public est mélomane et exigeant alors que notre musique est assez insolite et hybride. Ca a donc surpris les gens mais d’une bonne manière et ça nous a donné beaucoup de confiance. Les solos des musiciens marocains ont su toucher ce public averti.
