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Nidia Gongora : la cantora

L'interview du journal

 

Nidia Gongora est originaire de la ville de Timbiquí au cœur de la Cauca en Colombie. Issue de la communauté afro-colombienne elle est une des ambassadrices de la musique traditionnelle de cette région. Connue du grand public pour ses nombreuses collaborations avec le producteur anglais Quantic, la chanteuse tourne également avec son groupe Canalón de Timbiquí.
Rencontre avec l’une des principales gardiennes de la musique de la côte pacifique.

Canalón de Timbiquí existe depuis 2003, quelle est la genèse de ce groupe ?
Nous sommes quatre chanteuses au sein de Canalón et nous nous connaissons depuis le lycée. L’idée de ce groupe est d’abord la sauvegarde et la transmission des chants traditionnels afro-colombiens chantés dans nos familles depuis des générations et qui regroupent aussi d’autres pratiques comme la danse, la cuisine… Ce projet global est né en 2003 à Cali, dans le but de sauvegarder cet héritage de notre ville natale de Timbiquí.

Vous avez trois albums à votre actif, de quoi parle votre musique ?
Le premier album Deja me subi parle de cette tradition orale justement… Il a été produit par un des maîtres du marimba colombien Hugo Candelario et réunit des compositions originales collectives. A travers cet album, nous avons demandé aux ancêtres, aux esprits et à la nature leurs permissions de jouer et d’interpréter leur musique. On considère en Colombie que les instruments qu’on utilise sont liés à la nature, comme le marimba et le guasa par exemple qui sont des instruments d’eau. Sur Una sola raza, nous voulions rappeler l’importance de notre histoire, de ce métissage qui est très important pour nous. Notre région côtière du Cauca est peuplée depuis toujours par des indigènes qui ont appris à cohabiter au fil des siècles dernier avec les esclaves noirs. Sur Arrullando nous parlons de l’évolution du groupe Canalón de Timbiquí puisque nous habitons désormais pour la plupart à Cali. Le côté rural de nos origines vient donc se mélanger au côté très urbain de cette ville qui est à 70% composée d’afro-colombiens. Sur ce dernier opus qui mélange tradition et modernité, nous voulions aussi nous positionner sur le marché de la musique, cette industrie globale où nous souhaitons défendre nos traditions.

Certains des membres de Canalón sont toujours chercheurs d’or. Est ce que le travail dans la mine a aussi une influence sur votre musique ?
En fait, notre musique parle de notre quotidien : de la mine mais aussi de la pêche, de l’agriculture, de tous ces éléments qui nous entourent… Les hommes comme les femmes tirent une énergie, une certaine force de toutes ces choses que nous reversons dans la musique.

Dans le groupe, les femmes jouent uniquement du guasá alors que les autres instruments sont réservés aux hommes, pourquoi ?
Dans la musique pacifique colombienne, la place des femmes est primordiale, la société est d’ailleurs centrée autour d’elles, c’est un vrai matriarcat. Et pourtant, dans la musique un certain côté machiste perdure puisque les filles chantent et jouent uniquement du guasá alors que les hommes eux jouent les percussions requérant une certaine force physique, comme le marimba. Les femmes restent néanmoins garantes de la tradition orale, elles ont le pouvoir de la voix, de transmettre la tradition et d’éduquer les enfants.

Tu as obtenu le titre de « cantora », qu’est ce que cela signifie exactement ?
C’est un titre qui m’a été donné par les gens, d’abord à Timbiquí, puis à Cali et maintenant à l’échelle du pays. Cela signifie que je bénéficie de leur soutien pour faire valoir notre musique traditionnelle dans le monde. C’est un peu comme être une ambassadrice, une sorte de gardienne de la tradition. Je suis les pas tracés par mes ancêtres, je m’efforce de faire vivre ces chants et pratiques anciennes que l’on m’a enseignées depuis mon plus jeune âge.

Pour revenir sur ta collaboration avec Will Holland plus connu sous le nom de Quantic, on te qualifie souvent de muse, est-ce que ce terme te convient ?
Rires. Pour moi, c’est un titre que je ne prends pas à la légère ! Je me souviens de notre rencontre : il m’avait d’abord contacté par téléphone car il cherchait une voix pour son morceau Juanita Bonita avec le Flowering Inferno. À l’époque, il venait de s’installer à Cali dans le but de faire un album avec la crème des musiciens colombiens. Pendant la séance d’enregistrement en studio, il m’avait fait écouter les morceaux sur lesquels il travaillait. Comme je commençais à improviser dessus, il y a eu une sorte de déclic et il m’a proposé d’enregistrer ma voix sur tout l’album.

Vous avez sorti l’année dernière votre premier album à deux, Curao. Comment a été perçu cette collaboration auprès des tiens ?
Curao est le résultat de neuf ans de collaboration, d’un voyage musical entre Quantic et moi. Cet album est une forme de dialogue que nous avons écrit ensemble au fil des ans. C’est quelque part une grande surprise, car l’accueil réservé à cet album a été plutôt bon, et même auprès des anciens. C’est un vrai pari réussi car quelques temps après sa sortie, les musiciens référents en la matière sont venus me voir et m’ont en quelque sorte donné leur bénédiction. Ils ont compris l’idée de cet album qui réunit sonorités anciennes et production actuelle afin de faire connaître notre musique au monde.