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REZINSKY, DUO POLISSON

L'INTERVIEW DU JOURNAL

Le duo Rezinsky est né en 2015 de l’association du beatmaker RezO et du rappeur Pepso Stavinsky. Après leur double EP Les Hérétiques où ils nous présentaient leur univers déjanté et bien à eux, ils reviennent à la charge avec leur premier album, Mal Poli, sorti fin juin. Rencontre avec ces deux acolytes aussi différents que complémentaires.

Dans une interview en 2014, votre collaboration semblait ponctuelle. Pepso avouant même ne prendre à RezO qu’une à deux productions par an. Vous venez de sortir votre troisième projet en commun… Comment est né Rezinsky ?
RezO : (rires) Ça m’avait fait marrer de lire ça et c’est à partir de là que j’ai commencé à lui envoyer des prods régulièrement.
Pepso : A l’époque, on était très potes mais on travaillait peu ensemble. Il m’a envoyé des instrus pour me chambrer et on a commencé à enregistrer comme ça, sans trop de calcul. Au final, on en a fait un EP.

Après cette sortie aux instrus très marquées par le rap des années 90, votre 1er album change de cap avec des sonorités trap, plus électroniques…
RezO : Oui, sans conteste cet album est plus orienté vers les tendances musicales actuelles avec des instrus trap. Sur le premier EP, on était plutôt boom-bap, avec un univers assez particulier et très vite les gens nous on définit et reconnu à travers celui-ci. On a essayé de faire la même chose pour cet album : garder une cohérence artistique tout en changeant de style.

Comment avez-vous procédé pour composer cet  album ?
RezO : Je commence par créer des musiques, ou plutôt des ambiances. Je teste des mélodies, je construis autour puis j’envoie à Pepso qui écrit et développe une thématique. Je retravaille ensuite les instrus parfois pendant des mois. Pour cet album, on a en plus décidé d’intégrer Atom, de C2C, à la réalisation. C’est un formidable « costumier » et comme il vient de l’électro, ça collait parfaitement avec le style musical plus trap de l’album.

Côté texte, vous naviguiez entre un sentiment d’invincibilité et une grande sensibilité. Retrouve-t-on cette dualité dans l’album ?
Pepso : Effectivement, malgré les rythmiques assez trap, on a conservé la dimension intimiste et il y a toujours cette dualité entre le côté sauvageon et le côté fragile. Avec Rezinsky, on apprend à en jouer. Lorsqu’on enregistre, sur scène, ou dans nos clips, ça enrichit notre univers.

Racontez nous, quels ont été vos premiers pas   musicaux ?
RezO :  Comme j’étais mauvais rappeur, je me suis rapidement dirigé vers le beat making à la fin des années 90. J’étais un grand fan de hip-hop et je me suis intéressé aux rythmiques, afin de créer mes propres émotions à travers la musique.
Pepso : À 11 ans, je voulais mixer mais je n’avais pas d’argent pour les platines, donc j’ai commencé à faire des mix sur cassettes, je galérais. A côté, avec des potes, on a commencé à écrire des petits clashs entre nous et j’ai continué plus sérieusement par la suite. J’étais fan de rap, l’écriture m’intéressait beaucoup et avec l’âge, j’avais envie de me rebeller. Dans l’idée, je voulais être comme Cut Killer ou Method Man.

Dans « Les Hérétiques », on avait un peu l’impression que tu traversais une sorte de crise de la trentaine Pepso. Dans « Cesare », tu disais voir tes potes se marier et que tu n’avais pas envie de ces changements là. Tu en es où maintenant ?
Pepso : J’ai pas vraiment dépassé ça (rires). Ça reste très ancré dans mes thématiques. C’est ce qui m’inspire pour écrire. J’aurais toujours ce côté exutoire autour duquel je crée une autofiction. Dans Mal Poli, il y a aussi un côté plus ego trip qui colle bien avec l’énergie turn-up dont on parlait tout à l’heure.

 

Précédemment, certains vous ont catalogué dans le rap de blanc, celui dont l’histoire est retracée dans le documentaire « Un jour peut-être, une autre histoire du rap français », ce rap marginal et alternatif…
RezO : On a fait une date récemment avec James Delleck, un des piliers de ce rap, qui nous disait qu’on était la nouvelle génération de ce que eux avaient bâti. Nous, en général, les étiquettes nous saoulent. C’est réducteur. Cela dit, si la majorité des gens nous cataloguent dans ce type de rap, c’est que quelque part on doit y être, mais on cherche pas à faire partie d’une famille précise.
Pepso : Pour être honnête, plus jeune,  j’ai écouté pas mal des artistes présents dans ce documentaire et je me suis retrouvé en eux, comme dans plein d’autres artistes, en fait.

Vous disiez avoir une certaine méfiance vis-à-vis des gros médias, et par exemple qu’ “aller chez Ardisson, c’est un traquenard” ?
Pepso : Oui et ça s’est confirmé récemment avec Vald chez Ardisson, Nekfeu chez Ruquier. On a besoin des médias c’est sûr, mais il y a toujours énormément de stéréotypes. Et quand tu entres dans les shows grand public, ça devient tout de suite un spectacle qui te montre le rappeur sous son aspect le plus cliché. Tu n’es pas invité pour parler de ta musique, mais pour faire de l’audimat. Du coup, tu auras le rappeur poète, le rappeur blanc, le rappeur ghetto, tout est compartimenté… En plus, ces médias là sont tenus par des gens assez vieillissants qui sont déconnectés de la réalité, surtout celle du rap.

Au final, Pepso, tu as su tirer ton épingle du jeu ! Après avoir rappé pour une pub Oasis qui recherchait un rappeur type Nekfeu ou Orelsan, vous allez vous produire à un festival qui a comme tête d’affiche ces deux-là, en juin. Ça vous fait plaisir ?
RezO : Comme quoi le directeur artistique de la pub s’était pas trompé (rires).
Pepso : Ouais pour le festival, c’est super cool, on attend beaucoup de monde, beaucoup d’énergie. Et puis Orelsan m’a beaucoup influencé. Il a un talent d’écriture de dingue et on a un peu eu la même jeunesse, un peu paumé dans une ville de province.

Tu parles de ville de province, Rennes pour toi RezO et Angers pour Pepso, comment se porte la scène hip-hop selon vous ?
RezO : Rennes reste une grosse scène rap, avec un gros vivier, ça bouge beaucoup mais à l’heure actuelle je suis père de famille, je sors plus énormément donc je ne puise plus mon inspiration dans la rue et l’atmosphère ambiante. Je me suis construit autour de ça mais maintenant je crée grâce à d’autres sources même si j’ai toujours un œil sur ma ville. La scène rennaise se porte en tout cas très bien malgré peut-être un manque de structures.
Pepso : Bah moi je sors toujours (rires). A l’époque des Hérétiques, c’était Paris qui m’inspirait beaucoup, j’y vivais. Mais sur Angers, il y a pas mal de gens qui bossent autour de Rezinsky, que ce soit notre label Météorite, notre booker, des vidéastes et pas mal d’inspirations découlent de ces personnes. Pas mal de jeunes sur Angers se mettent à rapper aussi, on a même un feat sur l’album avec Odor, un jeune d’Angers.

Pas mal de gens pensent qu’on est en train de vivre un nouvel âge d’or du rap français, du fait de toute la richesse de la scène rap, vous êtes plutôt d’accord ou vous trouvez ça usurpé ?
RezO : A l’heure actuelle, depuis la naissance de la trap, on a des beatmakers et des rappeurs qui excellent vraiment. Parler d’âge d’or, c’est pas évident quand on est dedans. On n’a pas le recul nécessaire. Cela dit, 2018 risque effectivement d’être un âge d’or puisque notre album sort (rires). En tout cas, on est arrivé à maturation de la trap, ce qui permet vraiment une énorme liberté artistique.
Pepso : Je suis assez d’accord. Aujourd’hui ça s’éclate vraiment et le rap puise dans d’autres styles de musique et inversement. Moi, ce que je retiens, c’est le niveau de fou et surtout l’identité artistique très marquée. Il y a des mecs uniques, avec des énormes personnalités qui se créent un univers autour d’eux. Ils se servent du rap comme d’un média mais ils ont dépassé le cliché du rap, et sont extrêmement libres dans leur expression.